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Cours de linguistique générale

§ 3.Les dialectes n’ont pas de limites naturelles.

L’idée qu’on se fait couramment des dialectes est tout autre. On se les représente comme des types linguistiques parfaitement déterminés, circonscrits dans tous les sens et couvrant sur la carte des territoires juxtaposés et distincts (a, b, c, d, etc.).

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Mais les transformations dialectales naturelles aboutissent à un résultat tout différent. Dès qu’on s’est mis à étudier chaque phénomène en lui-même et à déterminer son aire d’extension, il a bien fallu substituer à l’ancienne notion une autre, qu’on peut définir comme suit : il n’y a que des caractères dialectaux naturels, il n’y a pas de dialectes naturels ; ou, ce qui revient au même : il y a autant de dialectes que de lieux.

On a appelé « lignes isoglosses » ou « d’isoglosses » les frontières des caractères dialectaux ; ce terme a été formé sur le modèle d’isotherme ; mais il est obscur et impropre, car il veut dire « qui a la même langue » ; si l’on admet que glossème signifie « caractère idiomatique », on pourrait parler plus justement de lignes isoglossématiques, si ce terme était utilisable ; mais nous préférons encore dire : ondes d’innovation en reprenant une image qui remonte à J. Schmidt et que le chapitre suivant justifiera.

Quand on jette les yeux sur une carte linguistique, on voit quelquefois deux ou trois de ces ondes coïncider à peu près, se confondre même sur un certain parcours :

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Il est évident que deux points A et B, séparés par une zone de ce genre, présentent une certaine somme de divergences et constituent deux parlers assez nettement différenciés. Il peut arriver aussi que ces concordances, au lieu d’être partielles, intéressent le périmètre tout entier de deux ou plusieurs aires :

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Les langues n’ont pas de limites naturelles.

Il est difficile de dire en quoi consiste la différence entre une langue et un dialecte. Souvent un dialecte porte le nom de langue parce qu’il a produit une littérature