Soit maintenant un pays unilingue, c’est-à-dire où l’on parle uniformément la même langue et dont la population est fixe, par exemple la Gaule vers 450 après J.-C., où le latin était partout solidement établi. Que va-t-il se passer ?
1° L’immobilité absolue n’existant pas en matière de langage , au bout d’un certain laps de temps la langue ne sera plus identique à elle-même.
2° L’évolution ne sera pas uniforme sur toute la surface du territoire, mais variera suivant les lieux ; on n’a jamais constaté qu’une langue change de la même façon sur la totalité de son domaine. Donc ce n’est pas le schéma :
mais bien ce schéma qui figure la réalité.
Comment débute et se dessine la diversité qui aboutira à la création des forme dialectales de toute nature ? La chose est moins simple qu’elle ne le paraît au premier abord. Le phénomène présente deux caractères principaux :
1° L’évolution prend la forme d’innovations successives et précises, constituant autant de faits partiels, qu’on pourra énumérer, décrire et classer selon leur nature (faits phonétiques, lexicologiques, morphologiques, syntaxiques, etc.).
2° Chacune de ces innovations s’accomplit sur une surface déterminée, à son aire distincte. De deux choses l’une : ou bien l’aire d’une innovation couvre tout le territoire, et elle ne crée aucune différence dialectale (c’est le cas le plus rare) ; ou bien, comme il arrive ordinairement, la transformation n’atteint qu’une portion du domaine, chaque fait dialectal ayant son aire spéciale.
Ce que nous disons ci-après des changements phonétiques doit s’entendre de n’importe quelle innovation. Si par exemple une partie du territoire est affectée du changement de a en e :
il se peut qu’un changement de s en z se produise sur ce même territoire, mais dans d’autres limites :
et c’est l’existence de ces aires distinctes qui explique la diversité des parlers sur tous les points du domaine d’une langue, quand elle est abandonnée à son évolution naturelle. Ces aires ne peuvent pas être prévues ; rien ne permet de déterminer d’avance leur étendue, on doit se borner à les constater. En se superposant sur la carte, où leurs limites s’entrecroisent, elles forment des combinaisons extrêmement compliqués. Leur configuration est parfois paradoxale ; ainsi c et g latins devant a se sont changés en tš, dž, puis š, ž (cf. cantum → chant, virga → verge), dans tout le nord de la France sauf en Picardie et dans une partie de la Normandie, où c, g sont restés intacts (cf. picard cat pour chat, rescapé pour réchappé, qui a passé récemment en français, vergue de virga cité plus haut, etc.).